4ème prédication du père Jean-Luc GARIN

 

Trois réfugiés à la frontière égyptienne

Au lendemain de la fête de Noël, un drame vient couper court aux joies de la naissance. L’allégresse est vite obscurcie par l’épreuve qui frappe la Sainte Famille. Du jour au lendemain, la crèche est vide car il faut fuir pour sauver sa vie et échapper à la tyrannie d’Hérode, le despote sanguinaire. Pas le temps de se poser afin de goûter aux moments pourtant si merveilleux de l’arrivée d’un tout-petit. Pas le temps de s’installer pour que le nourrisson puisse prendre des forces avant ce voyage incertain, il faut partir dans l’urgence. Dieu n’est déjà plus dans la mangeoire de Bethléem, mais parmi les réfugiés qui s’agglutinent à la frontière, espérant pouvoir trouver un avenir en Egypte. Un départ à la hâte, improvisé, dont on devine tout le poids d’angoisse et d’inquiétude.

Dieu naît dans un monde violent. Hérode-le-Grand et son fils Archélaüs… des noms de sinistre mémoire dont les historiens anciens nous ont rapporté les crimes et les atrocités. Le premier allant jusqu’à faire supprimer tous ceux qui menaçaient son pouvoir, fut-ce plusieurs de ses enfants et même sa propre épouse ; le second à ce point cruel qu’il fut déposé par le pouvoir romain et envoyé en exil en Gaule, à Vienne... L’évangéliste Matthieu nous montre qu’à peine né, le nourrisson de la crèche est confronté aux forces du mal, déjà la croix se dessine. Qui aurait pu imaginer qu’un jour, le Tout-puissant se ferait si vulnérable ? Et comment expliquer qu’on puisse vouloir faire mourir un être aussi innocent qu’un nouveau-né ? Il n’y a pas pire injustice.

L’Evangéliste nous décrit surtout l’attitude de Joseph, en reprenant quatre fois la même expression : il est celui qui « se lève » et « prend le petit enfant et sa mère ». L’époux de Marie n’est pas l’homme faible que nous a parfois laissé l’imagerie populaire. Il est fort pour protéger ceux qui lui sont les plus chers, il fait face et met tout en œuvre pour sauver sa famille. Matthieu nous le montre par ailleurs profondément ancré dans la Parole de Dieu car chacune de ses actions est éclairée par un passage de l’Ecriture. Devant l’adversité, Joseph prend la vraie mesure de la paternité que Dieu lui a confiée. Il n’est pas là pour sauver les apparences ! Dieu compte sur lui, il a besoin de lui.

D’où lui venait la force de « se lever », de tenir debout devant ce déchaînement de violence ? Sans doute, dans sa prière, se souvenait-il de l’histoire de son saint patron, le patriarche Joseph. Ce dernier avait été la victime innocente de ses frères qui cherchaient à le faire mourir (Gn 37) ; contraint d’aller en Egypte, c’est lui qui avait finalement sauvé sa propre famille (Gn 42). Joseph de Nazareth devait aussi faire mémoire de Moïse. Petit enfant, le Prophète avait échappé à la cruauté du pharaon qui voulait faire périr les fils qui naissaient parmi les Hébreux (Ex 2), devenu adulte, il avait libéré son peuple pour le conduire jusqu’en Terre Promise. En méditant sur la vie de son ancêtre Joseph ou sur celle de Moïse, la confiance de Joseph de Nazareth grandissait. Il croyait que Dieu pouvait à nouveau renverser le cours de l’histoire, et que ce petit enfant qui, pour le moment, avait besoin d’être secouru, finirait, lui aussi, par sauver le monde. D’ailleurs, c’était bien le sens du nom que Joseph était chargé de lui donner : « tu l’appelleras Jésus – ce qui veut dire : ʺLe Seigneur sauveʺ –, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1,21).

Dans l’épreuve, l’amour de Marie et Joseph s’est approfondi et fortifié. Ils ont pris l’un et l’autre la mesure de la responsabilité que Dieu leur avait confiée en leur donnant son propre Fils. C’est l’étonnante vocation de la famille : accueillir la vie comme un don, la protéger, la faire grandir, donner à l’enfant les moyens de s’épanouir, de devenir autonome jusqu’au jour où il prendra lui-même son avenir en main. Cette « mise au monde » demande du temps et elle n’est pas sans difficultés. Le récit de la fuite en Egypte nous le rappelle.

Quand Dieu se fait homme, il prend la condition du migrant. Il vit sous une tente de fortune, partage l’incertitude de tous les itinérants du monde qui se demandent de quoi demain sera fait. Dès lors, comment ne pas penser à toutes les familles qui connaissent aujourd’hui pareille précarité ou semblable exil ? Celles d'Egypte, ou proches de la frontière égyptienne comme à Gaza, celles Syrie ou d’ailleurs…  En s’incarnant, Dieu vient partager le sort de ces familles, ne les oublions pas.

 

Cette épreuve annonce bien d'autres épreuves qui marqueront la vie de la Vierge-Marie. Ce n'était pas parqu'elle était la Mère de Dieu qu'elle n'a pas souffert. Elle peut nous comprendre et nous aider. Pendant cette neuvaine, confions-lui nos difficultés de toutes sortes, nos soucis et nos épreuves.

         

                               Jean-Luc GARIN

                                       Supérieur du séminaire de Lille

Article publié par Doyenné de Cambrai • Publié le Mardi 20 août 2013 • 1896 visites

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